Ne faut-il pas être intelligent, avoir une réelle créativité, une certaine culture pour accéder à ce type de thérapie ? D’ailleurs lorsque qu’on lit des récits d’analyse, je note que les personnes interrogées sont toutes issues d’un milieu plutôt « intello » (journaliste, médecin, énarque, inspecteur des impôts…), peu de manœuvres, ouvrières d’usine ou de maçons !
La question présuppose que le genre d’activité qu’on peut s’attendre à pratiquer durant une analyse, serait d’ordre intellectuelle. Il est vrai que la lecture de la plupart des livres publiés par les psychanalystes, ouvrages en général relativement incompréhensibles, laisse penser qu’il en va de même pour les séances de psychanalyse, qu’y participer demande à tout le moins une capacité de compréhension hors du commun. Ce point de vue est tout à fait erroné, de même qu’il est faux d’affirmer que la patientèle des cabinets d’analyste se limite à une certaine catégorie sociale de la population (Je fais partie des ces analystes qui travaillent « en milieu rural », et j’accueille aussi bien des éleveurs que des enseignants, et, du point de vue psychanalytique en tous cas, ils ne sont pas mieux lotis les uns que les autres, ou pas moins capables de se confronter au processus analytique).
Le patient arrive assez souvent avec une théorie concernant ce qui lui arrive, théorie qui présent elles caractères suivants : 1. Il ne la connaît pas lui-même, ou n’y a accès que de manière partielle (il la pressent pour ainsi dire, ou l’exprime à travers un symptôme, et il en subit les contraintes, la logique parfois tyrannique) 2. Une partie de cette théorie, et souvent son aspect le plus énigmatique, a été élaborée dès l’enfance, à une époque où le savoir de l’enfant concernant le monde faisait largement appel à l’imaginaire 3. Elle est souvent assez sophistiquée, et a d’une certaine manière permis au patient d’avancer jusqu’à un certain point. 4. Mais désormais, elle ne « fonctionne » plus, elle ne suffit plus à rendre la vie tolérable, et c’est là une raison qui l’amène à consulter.
Une des tâches de l’analyse, menée conjointement, même si c’est parfois dans une atmosphère de rivalité, par le patient et par l’analyste, est de faire émerger cette théorie, cette logique, qu’on appelle parfois un fantasme, et qui se révèle à l’occasion d’un rêve, d’associations d’idées, de pensées obsédantes, ou encore, dans le cas des psychoses, par des manifestations délirantes ou hallucinatoires. Il n’est pas question de remplacer cette « théorie » par la théorie psychanalytique, mais d’en relever les aspects contraignants – au point qu’ils mènent l’existence ou une partie de l’existence du patient à une impasse.
Le patient a beau avoir accumulé des tonnes de savoir – il arrive même que les analystes accueillent de véritables érudits versés dans les études psychanalytiques –, ce savoir ne l’avance pas, ou plus, à grand chose. Le patient qui utilise ses séances pour exposer de manière extrêmement habile des théories fort sophistiquées sur l’état du monde ou son propre état d’esprit, sans que ces théories changent quoi que ce soit à la souffrance qu’il éprouve, finit généralement par se faire à l’idée que dans la situation analytique, ce savoir ne lui procure finalement aucune aide, qu’il n’a aucun effet mutatif, bref, qu’il fait écran et diversion à un autre savoir, lequel peut lui sembler indigne, mais qui, du point de vue psychanalytique, est le seul qui vaille la peine d’entreprendre une telle aventure.
C’est pourquoi la condition sociale, le niveau d’études ou les capacités rhétoriques du patient ne préjugent en rien de la réussite d’une analyse. D’une certain manière, le processus analytique pose à chaque patient le même type de problème : quels que soient les certitudes, les principes et les préconceptions qu’on transporte avec soi en franchissant le seuil d’une analyse, il s’agit bien de favoriser l’accès à un autre type de récit, qui se construit à partir des linéaments d’une histoire inconsciente. À l’arrivée, on en sait un peu plus, ce qui n’est pas négligeable, sur le désir qui vous anime, et les limites qui vous empêchent, mais ce savoir nouveau, aussi vaguement formulé qu’il puisse être, n’est pas de ceux qu’on ajoute à à la liste de ce que l’on savait déjà : il devient radicalement nôtre, et, dans le meilleur des cas, il nous transforme.