Les installations que nous avons mis en place au cours de nos vies deviennent parfois fragiles : elles ont tenu plus ou moins en équilibre jusque là, mais avec le temps, et sous l’effet d’évènements imprévisibles, des fissures apparaissent, l’édifice vacille et menace de s’effondrer. Le changement qui s’amorce n’est pas forcément spectaculaire, mais on pressent qu’il doit avoir lieu, que “ça ne peut pas durer comme ça”. Parfois, ce sentiment s’exprime sous la forme d’un malaise diffus, mais il peut aussi prendre des formes plus pénalisantes dans la vie quotidienne : des montées d’angoisse irrésistibles, des émotions incontrôlables, des pensées obsédantes, la honte, la culpabilité, se sentir délaissé, mal-aimé, abandonné, ignoré, l’incapacité à aimer, ce mal-être qui vous accompagne partout, des rêves désagréables qui reviennent chaque nuit, et, bien souvent, des épisodes dépressifs qui vous laissent sans désir, jusqu”aux idées noires qui viennent vous hanter.
La psychanalyse aborde ces moments de l’existence d’une manière très particulière : elle cherche à les comprendre, à leur donner du sens en les replaçant dans un récit qui est celui que nous avons, parfois sans en être conscient, considéré jusqu’ici comme allant de soi. Sauf qu’il ne va désormais plus de soi. Là où la psychiatrie, les psychothérapies, les thérapies comportementales et cognitives se donnent pour tâches de guérir et soigner les symptômes, le patient est invité par l’analyste à les inscrire dans un récit plus vaste.
Un peu comme si deux personnes, l’analyste et le patient, s’employaient à ouvrir un livre dont certaines pages sont effacées, ou bien manquent, ou bien ne sont guère lisibles, et entreprenaient d’en corriger les lacunes en recomposant l’histoire. Sans jugement ni conseils intempestifs. Mais aussi, et surtout, en s’efforçant d’y ajouter de nouveaux chapitres. Il ne s’agit pas forcément de guérir, car il y a des souffrances dont on ne guérira pas. Mais de mieux vivre. Prendre enfin ces décisions qu’on repousse depuis des lustres. Se lancer dans des projets qu’on n’avait qu’à peine oser imaginer. Aimer à nouveau. Quitter parfois pour changer de monde, de métier, d’amis. Se poser comme sujet, poser des limites, affirmer ses désirs, retrouver une certaine liberté.